Une décision instinctive
Les casiers à vin du petit commerce de la Länggasse sont bien remplis. Tant mieux, un restaurant attend justement d’être livré. Roland Stübi est fier de son travail. Il assure la logistique, et cela n’a jamais été une sinécure. «Reprendre La Cantina comportait des risques, c’est certain», admet-il. Les clients pouvaient ne plus revenir une fois les anciens propriétaires partis. Et puis, il ignorait s’il allait pouvoir s’en sortir avec son équipe. Roland Stübi avait presque 70 ans lorsque l’affaire lui a été remise.
«Finalement, nous avons décidé à l’instinct.» Le restaurant de Mercato gérait son propre commerce de vin, une toute petite affaire. Quand la fondation a appris que l’œnothèque de la Länggasse était à remettre, elle a sauté sur l’occasion et lui a confié le commerce du vin. La stratégie a fonctionné et la nouvelle équipe de La Cantina a repris les rênes avec succès, profitant des conseils des précédents propriétaires.
Roland Stübi est au four et au moulin. En tant que président du conseil de fondation, il consacre beaucoup de temps au restaurant et au projet social Mercato. Il recherche des donateurs et donne un coup de main à l’éducatrice dans son travail avec les jeunes. Qui plus est, il s’occupe de nombreuses questions opérationnelles car la fondation n’a pas de directeur actuellement.
Faire à mon tour quelque chose pour les autres
Tout a commencé il y a cinq ans. «Je pensais que j’y consacrerais un jour par mois, mais c’est devenu un job à 60%, entièrement bénévole!» Comment expliquer un tel engagement après une vie d’efforts? Roland Stübi a été travailleur social. Il a passé 25 ans dans un établissement pour adolescents présentant des troubles du comportement. Le Bernois s’estime privilégié, car il a pu suivre une solide formation et exercer une profession qui lui plaît. «Je devais à mon tour faire quelque chose pour les autres, même si j’étais déjà à la retraite.»
Il est enthousiaste à la pensée d’encourager la formation de «nombreux et talentueux gastronomes», qui trouveront un emploi plus facilement après leur passage chez Mercato. Chaque année, une vingtaine de jeunes et de moins jeunes suivent un programme à la fondation, que ce soit dans le cadre d’une demande AI ou d’un apprentissage de trois ans. Elles viennent chercher de l’aide parce qu’elles rencontrent des problèmes personnels ou souffrent de troubles psychosociaux. Il y a de la place aussi pour les migrants désireux de s’intégrer: «Le chef pizzaiolo est un Irakien qui a fui son pays!»
Une histoire personnelle
Roland Stübi a parfois mal au dos quand il livre du vin, mais il sait que grâce à son dévouement, un jeune pourra tôt ou tard retrouver espoir. Il sait aussi que si la fondation dépend autant de dons, c’est par manque de soutien, notamment de la part de l’État.
«Je ne veux pas être celui qui ne fait que critiquer. Je préfère agir pour que les choses changent.»
Pour le septuagénaire, la défense des faibles et la lutte contre les injustices sont des constantes. Il faut dire que son père avait été un enfant placé, employé à des travaux à la ferme. «J’ai compris plus tard ce qu’il avait vécu. Ses expériences ont laissé des traces qui ont influencé les décisions que j’ai prises par la suite.» Après son apprentissage de dessinateur en génie civil, Roland Stübi avait interrompu ses études à l’école technique pour se tourner vers le travail social.
Le Bernois multipliait les activités bénévoles, même lorsqu’il était employé. N’est-il pas temps pour lui de partir se reposer au sud des Alpes? La réponse fuse: «Non, ce n’est pas dans mes plans.» Au fond, pourquoi le ferait-il? Pour retrouver le Bel Paese, il lui suffit de gagner la Länggasse, au centre de la capitale fédérale.
Marc Perler